Ce n'est pas la première fois qu'après avoir suivi du regard les lignes insidieusement tracées sous plexiglas par Moon-Pil SHIM, qu'il me prend l'envie d'y intercaler quelques lignes... d'une écriture pourtant moins linéaire. En effet pour intercepter les longs glissements de couleur, tendus au revers des transparences du support, il me faut interfolier la lourdeur d'un propos à l'évidente simplicité d'un tracé.
Car d'entrée cette peinture est étonnamment lisse et dépourvue de tout embarras. Le parallélisme ligneux et interchangeable de veines bleues, rouges, jaunes ou vertes... ondoyant au dessus de fonds bleus, rouges, jaunes ou verts... crée un effet de moirage cinétique qui l'apparente à l'art optique du plus bel effet décoratif.
Je sais pourtant qu'il me faut dépasser cette première vision pour découvrir que l'interconnexion apparente entre esthétisme et hermétisme m'entraîne perfidement dans un univers intérieurement blessé.
Car l'artiste chirurgien à l'aide de son scalpel-cutter incise la linéarité impeccable de la trame. Ce grattage intercostal met à vif un certain nombre de plaies intercellulaires qui gangrènent la trop belle ordonnance de façade.
Moon-Pil séducteur intercède en faveur de SHIM le pervers. Mon regard premier s'éclaire de la luminosité éblouissante d'une brillante virtuosité. Pourtant en deuxième lecture, la limpidité tranquille de la surface me laisse entrevoir les égratignures et arrachements d'une peinture balafrée d'interjections contradictoires.
L'artiste me prend au piège d'un apaisement trompeur pour mieux me retenir prisonnier de la complexité d'un flottement interdigital. Entre les lignes tendues, et celles qui s'animent de mouvements ondulatoires, le calme statique du fond presque monochrome interfère entre les horizontales grignotées et celles qui vacillent.
Le parcours tracé à l'intérieur de chacune des boites-miroirs se complexifie par juxtaposition d'autres cadres, mis en espace sur le mur et regroupés en diptyques et polyptyques. Moon-Pil SHIM va alors proposer des ruptures d'alignements. Ces intersections peuvent suggérer des chutes de régime par décrochage vers le bas de l'une des boites du quadriptyque par exemple.
D'autres fois un assemblage en triptyque peut regrouper des couleurs différentes (vermillon, carmin, blanc) en interdépendance avec les encadrements assurant rupture ou continuité dans un jeu troublant de perpétuelle intercurrence.
Car ce qui me fascine dans cet art c'est d'y trouver à la fois la lisibilité claire et évidente de lignes tendues de couleurs primaires, et l'intercadence d'un rythme syncopé chargé de la chaleur interne des fonds colorés.
Très naturellement je découvre dans les tout derniers travaux, se lovant à l'intérieur de petites boites-vitrines, des bandes magnétiques. Avant d'être collées sagement au revers des plexi, elles semblent emmêler leurs paroles muettes à d'intéressants discours. En toute confiance j'en attends d'interastrales inter-lignes à venir.
Bernard Point
juin 2001