Espace infini

Lorsqu'en juin 2001 j'achevais d'écrire sur l'œuvre de Moon-Pil SHIM : "en toute confiance, j'en attends d'interastrales interlignes à venir" j'étais bien loin de me douter que de grands aplats de couleur allaient bientôt absorber les tracés permanents de l'artiste.

Car en effet aujourd'hui, si la linéarité horizontale est toujours présente, de grandes surfaces peintes uniformément sous plexiglas, densifient l'espace, et très souvent aux deux tiers supérieurs, tout en laissant respirer de troublantes alluvions brumeuses contenues sous un deuxième plexi translucide.

C'est ainsi que naturellement je devine une insidieuse ligne/reflet colorée, qui selon mes déplacements, même infimes, semble naître ou s'effacer, lumineuse, entre les couches de plexiglas jusqu'à la lointaine toile support.

Car ce qui me fascine dans ce travail, c'est la distance en profondeur, qui se rapproche ou s'éloigne, comme un horizon vacillant, pourtant contradictoirement posé à plat sur l'abstraction paysagère d'un espace de lumière.

Depuis si longtemps que j'accompagne la démarche de Moon-Pil SHIM, je me permets pour la première fois d'évoquer le paysage, car cette œuvre récente me plonge dans un environnement à l'échelle d'un ciel, d'une mer, et d'une plage. Tous ces éléments, toujours bien évidemment abstraits, ont en commun de n'appartenir à aucune autre réalité que celle d'une contemplation dans et devant l'infini de la nature.

Cela me rappelle une réflexion de Jean Degottex me disant que seuls des êtres restant longtemps contemplatifs devant l'eau plate d'un lac, pouvaient apprécier son œuvre.

Ainsi, devant l'immobilité silencieuse des peintures actuelles de Moon-Pil, je me laisse troubler par le scintillement de la lumière qui insinue ses variations à la base de ces œuvres en donnant l'impression de remonter doucement, de plan en plan, à la surface.

Ici encore, au delà de la profondeur de ces translucides eaux luminescentes, je découvre le bonheur de m'inscrire dans le temps et l'espace, pour me retrouver collé à la densité d'une matière picturale, ou plongé quelquefois dans le noir profond d'une nuit, à peine éclairée d'un trait de feu contenu en un fil rouge.

Mais si l'artiste réussit à ce point cette aventure spatiale, c'est qu'il avait au cours de l'année précédente, mené une autre expérience sur panneaux de bois noyés sous des superpositions de plaques de plexiglas. Cette fois, ces compositions alignent verticalement des zones aux couleurs pastellisées qui semblent flotter à l'intérieur de leurs formes rectangulaires.

Ce travail sur la lumière fait alterner un panneau de couleur unie avec d’autres, aux frontières imprécises qui obéissent pourtant aux verticales de leurs séparations. Cet alignement à l’intérieur de boîtes horizontales fonctionne comme un glissement permanent de gauche à droite, ou de droite à gauche à la manière de volets coulissants.

La manipulation qui m’est alors offerte me donne la possibilité mentale de faire bouger ces pigments translucides vers une recherche en profondeur jusqu’à l’infini.

Ainsi cette série de verticales exceptionnelles avait préparé une recherche en apesanteur qui a contribué à caractérisé le travail actuel en donnant à l'interastral paysage géométrique de Moon-Pil SHIM, sa dimension mystique.

Bernard Point
juin 2007