C'est la seconde fois que Dudelange expose son travail, fait d'étonnantes combinaisons entre peinture et Plexiglas, où le brut côtoie le délicat.
Il faut prendre son temps. Varier les plaisirs en variant les points de vue. Attendre le changement de lumière et regarder l'oeuvre sous un jour nouveau, comme une seconde naissance. Contemplatif, un peu comme devant l'eau plate d'un lac. Les oeuvres atypiques de Moon-Pil Shim font cet effet. L'artiste, lui-même, parle de son travail de la sorte : « Il s'agit pour moi de mettre en évidence mes rapports à l'espace et à la couleur, qui, par le déplacement du spectateur, associent deux éléments qui m'apparaissent primordiaux : lumière et mouvement.»
L'homme, âgé de 50 ans, cultive le secret de sa griffe, jouant au savant, fou d'expérimentations, dans l'ombre de son atelier. C'est que sous l'apparente linéarité de ses peintures se cache un procédé précis des plus complexes. Car au premier abord, c'est plutôt une surface brute qui frappe et se dégage de ses oeuvres. Une signature lisse et dépourvue de tout embarras. De grandes surfaces peintes uniformément, à l'acrylique, sous Plexiglas, qui laissent apparaître de longs traits rectilignes, plus ou moins fins, comme des nervures bleues, rouges, jaunes, ondoyant au-dessus de fonds francs.
Parfois, certains d'entre eux offrent une excroissance, une épaisseur presque dégoulinante. D'autres, inachevés, se perdent dans la toile, comme pour casser cette géométrie trop parfaite. De ces lignes horizontales, Moon-Pil Shim sait aussi bifurquer et trouver la courbe, pour des «toiles» plus envolées, plus folles. Mais c'est en dessous - ou audessus, c'est selon - souvent cantonnée au tiers de l'oeuvre, que l'étrange dimension du travail de l'artiste trouve tout son sens.
Ballet psychédélique
Dans cette géométrie calculée - parfois relative - l'homme y introduit une notion de doute, et une autre de distance, celle-ci étant imposée par sa touche si singulière qui consiste à superposer plusieurs surfaces sur lesquelles s'inscrivent successivement des surfaces peintes et ces innombrables lignes, elles-mêmes éclairées par un reflet coloré dont l'origine reste mystérieuse.
La couleur, d'une certaine façon piégée par ces différentes couches, remonte progressivement à la surface, comme une brume se dévoilant progressivement un matin d'automne, tantôt conquérante, tantôt sur le retrait. Elle semble naître ou s'effacer en fonction de l'endroit où l'on se positionne, mais reste malgré tout lumineuse, jusqu'à la lointaine toile support.
Lointain, tel est le mot adéquat pour retranscrire ces drôles de sensations imposées par le reflet. Ces compositions s'inscrivent en effet à l'intérieur de boîtes vitrées, suffisamment profondes pour que le regard s'interroge longtemps sur la distance qui le sépare de la matière picturale, toujours dissimulée et inaccessible. Mais on a beau mettre le nez à même la plaque, le secret reste complet. De là à se demander si l'artiste n'y cache pas quelque chose, il n'y a pas des kilomètres...
Moon-Pil Shim a trouvé l'essentiel de son langage plastique dans cette transparence, en faisant sienne cette phrase de Jesús-Rafael Soto : «L'immatériel est la réalité sensible de l'univers.» Dans un autre style, avec ces oeuvres lacérées et entaillées, laissant apparaître de fines lamelles, la patte de l'artiste n'en est pas moins saisissante. Dans un jeu savamment pensé d'alternance entre des feuilles blanches et de couleurs, il réussit, à travers les interstices du papier, à distiller une lumière particulière, diffuse, à peine perceptible.
Enfin, Moon-Pil Shim montre qu'il n'est pas non plus maladroit avec d'autres médias, par le biais d'une installation vidéo, cachée derrière un opaque rideau noir. Dans la salle plongée dans l'obscurité, une lampe noire met l'accent sur un tableau très «flashy», aux couleurs très vives, rendues fluorescentes par la technique, tandis qu'un rétroprojecteur balance des faisceaux lumineux, rendus visibles par un épais nuage de fumée. Là, les lignes se croisent et s'entrecroisent. Un étonnant ballet psychédélique.
Centre d'art Dominique-Lang - Dudelange.
Cimatti, G. (2009, 4 février). La ligne pour horizon. Le Quotidien, p. 39.