Les oeuvres de Moon Pil Shim se présentent, au premier abord, comme des boîtes d’épaisseur à peu près constante (5 ou 6 cm), entourées d’un cadre de bois peint en blanc, de longueur et de hauteur variables : petits carrés de 16 cm, rectangles allongés pouvant aller jusqu’à 202x16 cm ou de proportions plus habituelles : 75x50, 122x82 ou 37x23 cm. Mais ce qui étonne le plus ce sont les couleurs - et la présence du blanc traité lui aussi comme une couleur. Elles transparaissent au travers de plexiglas transparents ou dans les oeuvres les plus récentes de plexiglas translucides. Ces plages de couleurs (orange, rouge brun, vert et parfois noir ou rose) répandues de manière uniforme et lisse sont le plus souvent traversées d’une ou plusieurs lignes colorées (soit extrêmement fines, soit en étroites bandes), tracées au cutter dans la couleur puis à nouveau colorées mais différemment au rottring. Parfois, des accidents dans leur tracé sont volontairement conservés pour éviter une approche trop mécanique du dessin. Ces lignes, espacées ou rapprochées, découpent et modulent les aplats, introduisant un rythme dans les relations de couleurs et d’espaces. A la stabilité des espaces colorés rectangulaires, elles ajoutent une perception dynamique, ouverte, suivant ces horizontales.
Ce qui frappe d’emblée c’est l’oscillation entre d’une part la transparence, la netteté voire la linéarité introduites par le blanc, les aplats, les lignes colorées et le plexiglas (dématérialisation et immédiateté des couleurs) et d’autre part la présence laiteuse, atmosphérique du fond blanc (« duveteux comme une première neige » aurait dit Tanizaki) : profondeur imprécise, lointain mystérieux qui tirent la perception vers un espace en retrait.
Dans des oeuvres plus récentes – et comme il l’a fait dans le cadre du 1% du collège de Beaucaire, Moon-Pil Shim inscrit le jeu des lignes et des surfaces dans un matériau contemporain opaque (le Corian). Les pièces présentées pour cette exposition sont des structures murales dont les diverses faces développent des orientations à la fois différentes et harmonieuses que le regard ne peut embrasser d’un seul coup. Lignes et surfaces colorées, librement, soulignent ou contredisent ces orientations, introduisant une complexité plus grande encore dans notre perception de la « géométrie » de l’oeuvre. Comme pour les oeuvres antérieures, à tous les aspects saillants et immédiats de « l’objet », s’ajoute, par la distance et l’occultation, par le retrait, le creux ou le clos, un évidement qui les traverse et leur permet d’oeuvrer. Il n’y a d’accès que par détours.
Pierre Manuel 2012, extrait du texte "Reflets et transparences" dans les entretiens d’AL/MA n°2 (édition méridianes)