Pour cette exposition Galerie Lahumière, Renaud Jacquier Stajnowicz et Moon-Pil Shim nous entrainent dans un dialogue où il est question d’espace, de lumière et de mouvement. Si plastiquement les œuvres diffèrent, elles ont néanmoins en commun une attention très forte portée à l’espace environnant, celui du mur ou de la galerie (ces deux artistes ont d’ailleurs réalisés de nombreuses commandes monumentales) et l’espace intrinsèque à l’œuvre, c’est-à-dire à ce qui se passe entre les éléments, quelles sont les relations qu’ils entretiennent entre eux ? Différents moyens sont alors mis en œuvre pour répondre à ces questions pour finalement nous interroger sur la permanence de la peinture, éternelle fenêtre ouverte sur le monde et pour les artistes abstraits, et ce depuis l’origine, comment par elle rendre visible l’invisible ?
Renaud Jacquier Stajnowicz aime la notion de seuil et un seuil c’est un passage à franchir, un passage qui délimite des espaces bien distincts ou aux fonctions différentes ; espaces physiques, espace immatériels. L’espace physique c’est la matérialité de la peinture, l’immatériel ou l’invisible devenant alors la relation entre les éléments de la peinture ou entre les peintures qui composent l’œuvre. C’est l’assemblage de ces éléments qui bouscule notre perception, il y a un dépassement du cadre, celui de la peinture de chevalet, peinture qui devient environnement dans lequel nous entrons. En effet certains assemblages de peintures ne peuvent que nous bousculer, car ils dérangent notre ordre et notre calme. Il s’ensuit un jeu sur les espaces ouverts, fermés, les pleins de la peinture, les vides du mur qui nous poussent à nous déplacer et si il y a déplacement, il y a mouvement ; mouvement du corps, mais aussi mouvement du regard, prolongement de la pensée.
Il s’opère le même processus face aux œuvres de Moon-Pil Shim. La peinture chez lui ne nous apparaît pas frontalement mais elle se révèle à nous puisqu’elle nous est donnée « voilée » derrière une ou des plaques de Plexiglas translucides. La superposition de ces plaques nous engage dans l’œuvre, parfois le Plexiglas reflète et invite à prendre conscience de l’espace environnant, le déplacement révèle l’œuvre dans sa globalité, nous sommes alors autorisés à voir ce qu’il y a derrière. Nous ne sommes pas dans l’esprit optique de Vasarely ni dans les expériences participatives du GRAV mais dans une pensée presque métaphysique qui s’interroge sur ce qu’il y a après, sur le derrière de la surface des choses et c’est la lumière qui traverse ou qui réfléchit la peinture qui nous fait franchir le seuil.
Chez Moon-Pil Shim comme chez Renaud Jacquier Stajnowicz, nous sommes dans l’espace de l’entre-deux, un aller-retour entre le dessus, le dessous, le dedans, le dehors, nous sommes à la fois littéralement dans l’infra et dans le supra, notre désir devant ces œuvres nous pousse à chercher à voir au-dessous de la surface mais aussi au-dessus ce qui y est caché.
La peinture, point zéro des œuvres de ces deux artistes, est un élan, une impulsion. Le mouvement vient du corps et de l’esprit. C’est d’abord la volonté qui dicte au corps le mouvement et c’est le corps ensuite qui est propulsé. Matière et esprit se rencontrent alors en un point commun, et c’est le rôle de l’artiste de nous le faire sentir.
En ce sens, les œuvres de Renaud Jacquier Stajnowicz et de Moon-Pil Shim relèvent du domaine de l’infime, de la vibration interne de la matière, donc de la peinture et de la vibration qu’elle veut évoquer en nous par l’entremise de l’espace et de la lumière.
Tout le concret que nous vivons part du monde de la pensée. Ce n’est donc pas tout à fait du mouvement du corps qu’il s’agit mais d’un fil, matérialisant le flux de la pensée sans pour autant concerner les mots. C’est une chose commune à tous les hommes, c’est ce qui fait le lien, et c’est peut-être aussi cela le langage universel propre à de nombreux artistes non objectifs et concrets. Henri Bergson disait :
« Ce qui est réel, ce ne sont pas les « états » simples instantanés pris par nous, encore une fois, le long du changement ; c’est au contraire le flux, c’est la continuité de la transition, c’est le changement lui-même. L’essence du temps réel est de passer, aucune de ses parties n’est encore visible quand une autre se présente. », c’est là pour moi cet espace de l’entre deux à vivre et à expérimenter dans cette exposition.
Céline Berchiche
10 avril 2019